lundi 28 janvier 2013

GEORGES IBRAHIM ABDALLAH : LETTRE DE PRISON

 

Cher«e»s Camarades,

[...] . J’aborde dans cette lettre la première partie de vos questions à savoir ma situation et plus généralement celle des prisonniers révolutionnaires dans ce pays… et ce que l’on entend par aménagement des peines quand il s’agit de ces derniers…

Condamné à perpétuité dont quinze années de sûreté, je suis, légalement, libérable à partir de la fin de ma quinzième année de captivité, à savoir depuis octobre 1999. En fait, Passées les années de sûreté, la libération d’un militant révolutionnaire condamné à perpétuité devient de facto une mesure administrative plutôt que judicaire. Bien entendu cette mesure administrative à la discrétion du gouvernement, se présente toujours sous une forme judiciaire très particulière. Il y a toujours un juge, un tribunal et toute une cérémonie qui laisse paraître en fin de compte, une décision judiciaire, après débat contradictoire, plaidoiries des avocats et délibération etc.… Il n’en demeure pas moins, tout ce cérémonial est plutôt fictif ; il est bien cadré et centralisé aujourd’hui à Paris sous la direction d’un magistrat qui est le président du tribunal de l’application des peines de Paris compétent en matière de « terrorisme ».

Il faut savoir que la situation n’a pas toujours été ainsi. Bien que l’on soit jugé en France, à partir de l’année 1986, par une cour d’assises spéciale[1] composée uniquement des magistrats professionnels (elle ne comporte pas de jury), Les dossiers des prisonniers politiques (dits terroristes) n’étaient ni centralisés à Paris ni gérés par un seul juge de l’application des peines ; ainsi le 19 novembre 2003, la juridiction régionale de libération conditionnelle de la Cour d’Appel de Pau m’a accordé la libération conditionnelle. Cependant sur appel du parquet (à savoir du gouvernement) la juridiction nationale de la libération conditionnelle a infirmé cette décision le 16 janvier 2004. La juridiction nationale s’est alignée sur les arguments du parquet (à lire : du gouvernement) qui reprochait aux juges de la juridiction régionale de n’avoir « voulu tenir aucun compte de l’impact susceptible d’être provoqué en France, aux États-Unis et en Israël par la libération de ce condamné et ce alors même que la situation au Proche-Orient est particulièrement tendue ». C’est justement pour éviter qu’un magistrat de province se prenant au sérieux, ne vienne traiter ces dossiers sans tenir compte des enjeux politiques et autres considérations gouvernementales, ils ont légiféré de sorte qu’aujourd’hui tous ces dossiers soient traités à Paris et gérés par un seul magistrat. Ce dernier fait office de juge de l’application des peines et de président du tribunal de l’application de peines. Tout naturellement il suit scrupuleusement les mesures décidées en haut lieu. D’ailleurs, c’est pourquoi on a centralisé tous ces dossiers à Paris sous la responsabilité de ce magistrat nommé à cet effet.

Tout au long de sa détention, le prisonnier politique fait l’objet d’un traitement d’exception visant à priori la criminalisation de tout ce qui a trait à la lutte. Des scélérates lois au service de la répression et la contre-révolution préventive poussent sans cesse comme des champignons en fonction de l’évolution de la crise et de l’activité de l’antagoniste révolutionnaire; tout naturellement, rien ne s’oppose à l’application rétroactive de ces lois, particulièrement quand il s’agit des prisonniers politiques qui refusent de se soumettre. Bien entendu Camarades, il faut garder présent à l’esprit que L’individualisation et la criminalisation vont toujours ensemble du début à la fin de la détention… Afin de présenter et traiter le prisonnier politique comme un criminel, il faut d’abord en finir avec son identité politique, et à cet effet la justice bourgeoise ne se limite pas à lui nier toute identité collective, il lui faudrait absolument que le prisonnier politique lui-même, participe à cette négation et par conséquent à la destruction de la mémoire politique collective. Il faut substituer au prisonnier politique (protagoniste révolutionnaire  résistant)  le docile criminel repentant. Ce n’est que dans ce cheminement de substitution que l’on peut situer les démarches exigées pour une libération conditionnelle.[2] Ainsi la bourgeoisie peut-elle claironner à longueur des journées «  En démocratie il ne peut y avoir des prisonniers politiques, et il n’y en a pas ; il y a des dangereux criminels  terroristes…»  « En démocratie on n’emprisonne pas les militants pour des convictions politiques…on neutralise les activistes terroristes ces criminels irréductibles.». Il faut absolument que le prisonnier politique participe à la négation de son identité et à dépolitiser ses actions passées afin de les criminaliser… Tout naturellement tant que le prisonnier politique n’avalise pas, in fine, le processus de substitution susmentionné on lui refuse la libération conditionnelle. On lui rappelle « … qu’il n’a pas encore renié ses convictions politiques et que son engagement demeure intact… » « …Il continue de revendiquer les actions incriminées comme étant des actes de guerre et de résistance… » Et par conséquent «…la force de ses convictions et de son engagement peuvent, si le contexte politique s’y prêtait, le conduire à se comporter à nouveau en activiste résolu et implacable… » Et dans la situation actuelle où le rapport des forces entre l’antagoniste révolutionnaire et la contre-révolution est ce qu’il est, il ne peut s’attendre qu’à une décision défavorable à la demande de libération conditionnelle…

Dans un message adressé aux camarades lors d’une initiative solidaire devant la centrale de Lannemezan en 2006 nous disons J.M. Rouillan et moi :

« Pour espérer une libération, […] Le prisonnier doit s’individualiser jusqu’au bout en dénigrant son action passée et celle de ces anciens camarades…

[…] des années après, ce n’est plus à nos organisations combattantes qu’ils en veulent, elles n’existent plus, mais à notre mémoire collective et par delà à une partie du patrimoine de la gauche révolutionnaire internationaliste. L’objectif est d’anéantir l’expérimentation combattante qui, durant plus de deux décennies, s’est développée dans la zone européenne et moyen-orientale… » 

Ainsi Camarades, la justice impérialiste de ce pays a-t-elle rejeté toutes mes précédentes demandes de libération conditionnelle tout en brandissant à dessein l’étiquette du terrorisme fourre-tout, comme raccourci convenable facile à stigmatiser.[3] Il faut dire qu’à ce niveau il n’y a pas de limites dans la bassesse du moment où le rapport des forces nous est momentanément défavorable. C’est justement, ce rapport de force qui a permis jusqu’à maintenant, le rejet de  toutes ces demandes de libération conditionnelle ; il tend surtout à rendre évident le constat suivant : Tant que le prisonnier révolutionnaire n’a pas renié ses convictions et continue à présenter une quelconque combattivité on lui refuse en principe une libération conditionnelle, tout particulièrement si les mesures susceptibles d’être mises en œuvre pour le surveiller et le contraindre le cas échéant ne sont pas réunies et assurées là où il devrait vivre et travailler (à savoir, s’il s’agit d’un militant étranger dont la libération conditionnelle est toujours sous réserve de l’exécution d’une mesure d’expulsion vers son pays).

Camarades, Il faut savoir que juste au moment où la justice bourgeoise dénie toute identité politique au prisonnier révolutionnaire elle cherche par tous les moyens à empêcher et à criminaliser toute analyse critique du parcours de la lutte de ce dernier. Il lui faut absolument détruire tout ce qui a trait à la mémoire collective de la lutte révolutionnaire. Il lui faut absolument détruire toute connexion entre la mémoire collective de l’expérimentation combattante de la gauche révolutionnaire internationaliste et la dynamique globale de l’affrontement anticapitaliste, anti-impérialiste de nos jours.

Pour la petite histoire Camarades, il était en semi-liberté depuis presque onze mois,( il lui restait à peine un mois pour terminer cette période de semi-liberté...) Il a suffi qu’il réponde à un journaliste lui rappelant : « […] on m’a interdit de parler de mon passé autrement qu’en le dénigrant…] Cette « malheureuse » petite phrase lui a coûté (Jean Marc Rouillan) un an de prison… et oui Camarades, l’identité politique et la mémoire des luttes sont intimement liées et la justice bourgeoise ne peut tolérer ni l’une ni l’autre. Il lui faut en détruire jusque la moindre trace. C’est pourquoi justement tant que le camarade prisonnier se comporte en tant que militant révolutionnaire en captivité la justice bourgeoise lui dénie tout aménagement des peines. Ce traitement se perpétue aussi longtemps que le prisonniers refuse de se soumettre au rôle que les gouvernants cherchent à lui faire jouer : un pantin au service de la contre-propagande! Bien entendu, c’est toujours dans la mesure où le rapport de force lui est momentanément défavorable et tant que la mobilisation pour sa libération ne vienne pas favoriser la dynamique globale de la lutte en cours. C’est justement à partir du moment où les  diverses initiatives solidaires commencent à fleurir en s’affirmant d’emblée sur le terrain de la lutte anticapitaliste, toutes les mesures de répression et d’anéantissement préconisées durant des années contre les prisonniers révolutionnaires s’avèrent dorénavant inefficaces et complètement inappropriées. En fonction de cette nouvelle donne, les agents de la justice bourgeoise (juges, et autres services auxiliaires de la répression…) se rendent compte que l’enfermement indéfiniment ainsi que toutes les mesures d’anéantissement dont font l’objet, les prisonniers révolutionnaires depuis tant d’années, deviennent de plus en plus contreproductifs. C’est à ce moment là qu’ils optent pour la mise en œuvre des mesures d’aménagement des peines qui aboutissent à la libération légale «  dite conditionnelle » des camarades prisonniers…

Je m’arrête [...]

Mes salutations révolutionnaires à vous tous.

Ensemble camarades et ce n’est qu’ensemble que  nous vaincrons…

Votre Camarade Georges.
________________________________________
[1]  Pour me passer devant cette cour d’assises ils ont dû avoir recours à l’application rétroactive de la loi. Ma condamnation à perpétuité fut le 1er jugement prononcé par cette cour d’assises spéciale depuis sa création en 1986.)

[2] Comme vous voyez camarades, la question de l’attitude à prendre vis-à-vis de la justice bourgeoise et les positions politiques  à défendre ne se limitent pas seulement, loin de là, aux seuls moments du procès au tribunal, elles se déploient et se précisent tout au long du processus de résistance des prisonnier«e»s révolutionnaires. Bien entendu comme cette dernière (la résistance des prisonnier«e»s révolutionnaires) elles s’inscrivent d’emblée dans la dynamique globale de la lutte anticapitaliste, anti-impérialiste…on développe ce point camarades dans la deuxième partie quand on aborde « sur quel base les prisonnier«e»s révolutionnaires se défendent-ils devant les tribunaux de la bourgeoisie}.

[3] Lors de mon arrestation et ma comparution devant la cour d’assises  « le terrorisme » ne figurait pas encore en tant que crime dans le code pénale de ce pays…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire